Physical Address

304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124

Le « parlementarisme rationalisé », cet outil de la Vᵉ République qui vise à renforcer l’exécutif, est de moins en moins toléré

Histoire d’une notion. A la tribune de l’Assemblée nationale, la première ministre, Elisabeth Borne, manifeste sa stupéfaction, mardi 21 mars. « Le 49.3 n’est pas l’invention d’un dictateur », affirme-t-elle pour justifier le choix de son gouvernement de recourir à cet article de la Constitution et de faire adopter « en force » la réforme des retraites. Celle-ci aura « un vice démocratique si elle passe par le 49.3 », avait pourtant alerté le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, dont la centrale a fait un casus belli du passage de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Selon le syndicaliste, son utilisation marquerait « une triple défaite : populaire, morale et politique » pour l’exécutif.
C’est peu de dire que, pour son centième usage, le 49.3 fait l’objet d’une virulente contestation. Il n’est pourtant qu’un des outils du « parlementarisme rationalisé ». Cette expression englobe tout ce qui permet au gouvernement de faire passer des réformes en se dégageant de l’emprise du Parlement. Parmi ceux-ci figurent, entre autres, le vote bloqué (article 44.3), la procédure d’accélération des débats pour les lois de finances (art. 47-1), la maîtrise de l’ordre du jour du Parlement par l’exécutif (art. 48) modifiée en 2008, l’adoption sans vote (49.3).
Mis en place en 1958 avec la Ve République, voulu par le général de Gaulle et Michel Debré – avec l’aide de parlementaires chevronnés comme Paul Reynaud, ancien président du Conseil sous la IIIe République, Guy Mollet ou Pierre Pflimlin, chefs de file de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) et de la démocratie chrétienne, sous la IVe –, le parlementarisme rationalisé a pour but de lutter contre le régime d’Assemblée. De 1946 à 1958, la France a en effet connu une forte instabilité ministérielle. « Les gouvernements tombaient comme des mouches, précise Jean-Louis Debré, ancien président de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel. S’il y a un blocage entre le Parlement et le président de la République, ce dernier doit avoir la capacité de régler le conflit. »
Les défenseurs du parlementarisme rationalisé lui voient donc trois fonctions : assurer la prééminence du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif, celle du gouvernement sur le Parlement et enfin de la majorité sur l’opposition. Historiquement, le 49.3 est d’ailleurs une arme au service du gouvernement pour rendre la majorité docile. Raymond Barre, premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing, l’a utilisé à huit reprises entre 1976 à 1981 pour discipliner les élus RPR – alors dirigés par Jacques Chirac, qui se posait en rival du président. Michel Rocard a usé du 49.3 à vingt-huit reprises de 1988 à 1991, ne disposant que d’une majorité relative. De même, c’est pour lutter contre les frondeurs de son propre camp que Manuel Valls, premier ministre de François Hollande, y a eu recours à six reprises.
Il vous reste 46.61% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

en_USEnglish